Formation des enseignants
L’empathie, une compétence professionnelle indispensable
Non-Violence-Actualités n° 327 : Favoriser l'empathie pour prévenir la violence
Par Daniel FAVRE et Catherine FAVRE
L’empathie constitue une modalité relationnelle construite, basée sur la capacité innée à être réceptif à l’état émotionnel d’autrui, et comportant l’éducation de zones cérébrales capables de décoder l’expérience subjective d’autrui par analogie avec la sienne propre mémorisée.
L’empathie joue un rôle important dans nos recherches sur la violence scolaire. Selon le chercheur nord américain Albert Mehrabian, l’empathie est inversement corrélée à la violence : plus le score d’empathie est élevé chez une personne, moins le risque de comportements violents est important. Nous nous sommes donc servis de la mesure de l’empathie chez les élèves comme d’un indicateur montrant, dans le cas d’une augmentation du score, que la formation de leurs enseignants par nos soins avait bien été préventive de la violence (Favre, 2007). De notre point de vue, le test de Mehrabian comportait un défaut : l’empathie était confondue avec d’autres notions comme la contagion émotionnelle, la sympathie ou la compassion. L’empathie diffère en effet de la sympathie ou contagion émotionnelle positive et de la compassion qui ajoute à l’empathie une dimension de participation spirituelle à la souffrance d‘autrui.
Nous avons donc reconstruit un test distinguant l’empathie de la « contagion émotionnelle » d’une part et de la « coupure par rapport aux émotions » d’autre part (Favre et coll, 2009). L’empathie devient alors la capacité à se représenter ce que les autres ressentent et pensent tout en le distinguant de ce que l’on ressent et pense soi-même. Dans la formation expérimentale évoquée ci-dessus, les enseignants du primaire et du secondaire pratiquent un entraînement à l’empathie, non pas tellement pour percevoir ce que les élève sentent ou pensent, mais surtout pour devenir apte à opérer cette distinction entre soi et les autres.
« L’empathie est inversement corrélée à la violence »
Ainsi le développement de l’empathie chez les élèves (augmentation par exemple de 80% du score au CM2 en ZEP) n’est pas dû à un entraînement particulier de ceux-ci à ce qui serait une nouvelle matière scolaire. Il est dû essentiellement à l’adoption et à l’application dans la relation éducative par les enseignants du postulat de cohérence :
Chacun a de « bonnes raisons » ( = légitimes, valables…) de penser ce qu’il pense, de dire ce qu’il dit, de faire ce qu’il fait, … et surtout de ressentir ce qu’il ressent !
Ce postulat ouvre la possibilité en se décentrant de ses propres références, d’accueillir les différentes manifestations de l’élève, et c’est l’entrainement à la « pensée non dogmatique » qui rend possible l’écoute empathique (ch. 14 & 17, Favre, 2007). Nous pensons aujourd’hui que c’est cet ensemble, comprenant l’expérience d’avoir été écouté personnellement et l’exemple d’adultes qui « pensent ce qu’ils sentent et sentent ce qu’ils pensent », qui incite les élèves à changer de motivation prédominante et ainsi à se dé-motiver pour la violence tout en développant leur propre aptitude à l’empathie.
Cette formation à l’empathie n’allait pas de soi car il n’était pas dans les traditions de la formation des enseignants de s’intéresser aux émotions, sinon pour éviter qu’elles ne « troublent » l’apprentissage, comme le reflètent les recommandations du rapport Bancel qui a servi de texte fondateur aux IUFMS (1989). Il est encore actuellement fréquent de vouloir dissocier, soit pour l'étudier soit pour "mieux" enseigner, les processus cognitifs et les phénomènes affectivo-émotionnels. Cependant, le premier indice intra-subjectif d'une compréhension n'est-il pas une émotion, une jubilation plus ou moins intense, qui peut entraîner une motivation puissante pour l'apprentissage, si le dispositif pédagogique donne plus de place à la recherche en classe de ce type de plaisir ? Des données neurobiologiques indiquent par ailleurs une très importante co-localisation et interrelation fonctionnelle entre les structures nerveuses impliquées dans la cognition et celles dont le fonctionnement est corrélé avec celui de nos émotions (Favre, 1990), ces dernières pouvant ainsi autant inhiber que favoriser l'activité des premières.
La dynamique de l’apprentissage associe elle aussi, des phases de construction et de déconstruction des connaissances et des représentations avec des ressentis émotionnels qui en font pour le jeune, une expérience passionnante, difficile, ennuyeuse, satisfaisante, stressante, à éviter,… Durant cette phase incontournable de déstabilisation cognitive et affective, les élèves auraient besoin de sentir un adulte apte à se représenter ce que, eux, élèves vivent, comme la peur de se tromper, d’échouer ou d’être dévalorisé, et qui peut ainsi leur donner des feeds-backs pertinents sur la progression de leur apprentissage. Une question d’élève de 4ème interroge les formateurs d’enseignants : « mais est-ce que les profs, ils savent ce que ça nous fait quand on apprend ? » ; manifestement les élèves en doutent.
Pourtant, nous avons pu observer que c’est bien lorsque l’on se sent en sécurité que l’on prend le risque d’apprendre, de lâcher ce que nous avons déjà construit pour nous adapter à de nouvelles contraintes, celles que présente le nouveau problème à résoudre.
Accompagner les élèves dans ce processus, cela demande en tant qu’enseignant de pouvoir temporairement mettre en arrière-plan ses propres représentations, sa manière personnelle de concevoir un objet d’étude pour pouvoir s’ouvrir à la représentation que l’élève en a et à la manière dont il la conçoit lui, qui est forcément différente de la nôtre. Ceci permet de comprendre le processus interne de l’élève, d’en reconnaître l’intérêt au delà du résultat qu’il produit, et ainsi de reconnaître sa capacité de penser. D’où l’importance de pouvoir adopter et faire sien le postulat de cohérence, en se rappelant que l’énonciation et l’application du postulat de cohérence en classe correspond à l’acceptation inconditionnelle de l’élève comme un Sujet mais ne lui donne pas pour autant de droits pour se comporter de manière non acceptable dans la classe. La distinction entre la personne et ses comportements permet de faire état que l’acception des comportements est conditionnelle puisque tous les comportements ne sont pas acceptables.
Pratiquer l’empathie va consister également à utiliser toutes ses ressources pour identifier le ressenti des élèves, grâce à la prise en compte des informations non-verbales : sa position corporelle, son regard, sa mimique disent-ils qu’il est plutôt déçu, découragé ou furieux de ne pas y arriver ?
Lui refléter ce ressenti c’est lui signifier au minimum, lui démontrer si l’on tombe juste, que l’on est tout proche de lui, à ses côtés dans son expérience mais en même temps que celle-ci lui appartient totalement, qu’il a le droit et la responsabilité de ressentir ce qu’il ressent. Cette reconnaissance apporte un sentiment de sécurité et peut permettre à l’élève d’accepter la discussion de sa représentation ou de sa démarche pour l’enrichir ou lui permettre de réaliser qu’elle est incomplète ou partiellement erronée. Ce qui ne serait probablement pas le cas si l’enseignant le gratifiait d’un : « cet exercice était pourtant facile ! »…
« L’enseignant peut donc devenir cet adulte allié dont l’élève a besoin pour apprendre et grandir »
À l’heure où l’époque des IUFM se termine et où commence celle des ESPÉ (École Supérieure du Professorat et de l’Éducation), il serait donc souhaitable que l’empathie soit enfin reconnue comme une compétence professionnelle de premier plan nécessaire pour enseigner, car elle permet justement de se représenter les aspects cognitifs et émotionnels des élèves et donc de créer ce climat de sécurité où peut être construite une alliance avec les élèves.
Il est d’autant plus important que les enseignants développent leur capacité d’empathie que les élèves sont de plus en plus différents les uns des autres avec des références culturelles et des expériences éducatives variées. La contagion émotionnelle négative, autrement dit l’antipathie, devient alors un risque pour l’enseignant qui rencontre des élèves trop différents de l’élève qu’il a été. Cela implique pour l’enseignant de ne plus pouvoir faire l’impasse sur la dimension individuelle et de se distancier d’un modèle de l’apprentissage conçu comme un processus normé avec étapes obligatoires et progressives adapté à un élève type, moyen ou idéal, dans lequel la participation affective était minimisée.
En faisant cela, l’enseignant peut donc devenir cet adulte allié dont l’élève a besoin pour apprendre et grandir. Ce dernier n’a pas besoin d’un « contrôleur » qui pour le faire travailler multiplie les contrôles et cherche à le faire travailler contre son gré et qui « punit » l’erreur jusqu’à le dégoûter des situations d’apprentissage scolaire.
Comme nous avons pu de nombreuses fois le constater, l’établissement de cette alliance avec les élèves contribue à renverser la tendance à la démotivation des élèves pour l’apprentissage et pourrait constituer une parade préventive au décrochage scolaire (Favre, 2010).
Daniel Favre est enseignant-chercheur en sciences de l’éducation au Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche en Didactique Education et Formation, Université Montpellier II
Catherine Favre est psychologue clinicienne et formatrice à l’IRIS en « self régulation ».
Bibliographie
Favre D. (2007) Transformer la violence des élèves. Cerveau, motivations et apprentissage. Dunod EdD.
Favre D., Joly J., Reynaud C. & Salvador L. L. (2009) Empathie, contagion émotionnelle et coupure émotionnelle - Validation d'un test pour repérer et aider les élèves à risque. European Review of Applied Psychology 59, 211–227.
Favre D. (2010) Cessons de démotiver les élèves. 18 clés pour favoriser l’apprentissage. Dunod Ed.
Favre D. (1990) Démarche scientifique et mobilité des représentations, Actes du colloque international de la Société Française de Chimie : “Les représentations, méthodes d’étude et résultats : 7-15.